songes-timides

Pensées d'une introvertie.

Jeudi 21 avril 2016 à 19:56

 Nous sommes toujours en 2oo7, j'ai 13 ans.
Je suis toujours moche et complexée, j'ai le même baguy très ample et un gros pull. Mes cheveux sont toujours trop courts et mal teints. Globalement, je ne suis encore vraiment pas belle.
On est encore dimanche, je descends à pieds en début d'après-midi rejoindre mes deux amis. Je marche avec mes écouteurs. Je me sens dérangée mais ne fais mine de rien.

Jusqu'à ce que je me rende compte qu'un type marche derrière moi depuis quelques minutes déjà. Je le sais parce qu'à ce moment, il marche à ma hauteur en me montrant un porno sur son téléphone. J'enlève mes écouteurs, je ralentis en le regardant d'un air inquiète, je vis ma première agression de ce genre. 
Je ressens une drôle d'angoisse très intense. Plus tard, je saurai que c'est la même angoisse qui revient à chaque fois qu'il est question de danger sexuel. Une angoisse propre à ce danger-là.
En enlevant mon écouteur j'entends qu'il me parle en me montrant le film, je ne comprends rien à ce qu'il baragouine, il n'est manifestement pas français ou s'exprime très mal, qu'à cela ne tienne, je presse le pas en me demandant quoi faire.
Il se met face à moi.
Je m'arrête, puisque mon premier réflexe est de rester loin de lui.
Il sort son oiseau, en désignant le coin du trottoir. Je comprends sa demande. J'ai l'impression que ce moment dure une éternité, je cherche de l'aide autour de moi. Je ne vois que des voitures qui ne s'arrêtent pas. Le désespoir me submerge à chaque voiture, jusqu'à ce que je vois une femme seule qui conduit et qui fait mine de ne rien voir, prend soin d'accélérer quand elle est à ma hauteur.
La scène est très explicite, de ton angle de vue aussi. Tu ne peux pas faire mine de ne pas voir. 
Ca m'a bouleversée qu'elle n'ait même pas osé un regard de compassion. 

On est dimanche il est 14h quelqu'un à la bite à l'air devant une gamine au bord d'une route fréquentée, comment peut-on être aussi seule au monde ?

C'est pas le tout d'être bouleversée ma p'tite, mais l'affaire t'attend toujours. Le monsieur est très souriant et "poli" malgré tout, il n'est pas agressif et a l'air de me demander "s'il te plaît". Ca me décontenance encore un peu, tout cet aplomb et cette absence de gêne, devant moi qui n'ose pas découvrir mes avant-bras en Eté tant je suis complexée. Lui n'est pas inquiet.

Il bande, il commence à se branler. Je sens que mon angoisse passe un cap, je cours droit devant moi en lui fonçant dedans. Je me retourne une fois, je vois qu'il a remballé ses affaires et qu'il me court derrière. Je sors mon téléphone et appelle un de mes amis que je dois rejoindre. Je me contenterai de lui dire "j'ai un problème je suis route de *****" sans m'arrêter de courir. Je me retourne une deuxième fois, je vois qu'il ralentit et fait un geste avec ses bras en voyant que je suis au téléphone. La troisième fois, il n'y a plus personne derrière, je n'ai jamais su par où il était parti se planquer. 

Mes deux amis arrivent très rapidement.
Je leur dirai simplement qu'un mec a voulu me frapper et que j'ai filé. Que j'ai eu peur parce qu'il me courait après.

J'ai revu ce monsieur plusieurs fois autour du collège et dans le bus. Il portait toujours un tee shirt rouge. Parfois je me demandais si il me cherchait. Mais un jour on s'est croisé et il ... avait l'air terriblement normal, plutôt gai. J'ai compris qu'il ne me reconnaissait pas ou ne se souvenait pas de moi.
Je me suis souvent demandée combien de fois il a pu le faire, comment il décide, si il vise exclusivement les ados autour du collège, si il l'a eu un jour, sa pipe dans le coin du grillage...

 

Jeudi 5 juin 2014 à 15:14

 Nous sommes en 2007. J’ai 13 ans, je suis complexée et comme tous les jours je porte un baguy très ample et un grand pull. Mes cheveux sont trop courts, trop noirs, ma démarche ressemble à celle d’un ours. Globalement je ne suis vraiment pas belle.
On est dimanche, il fait beau et chaud, il est aux alentours de 15 heures, encore 15 min de marche me séparent de mon domicile. J’ai mes écouteurs, tout va bien.
Je passe devant mon horrible collège. Il est entièrement gris foncé, en béton, avec une immense grille en métal qui cache les fenêtres des étages et fait tout le tour du bâtiment.
Je déteste ce collège. Les gens y sont d’une cruauté avec moi sans pareil. J’en suis la pire victime. Je ne me défends jamais, je ne dis jamais rien, j’encaisse en silence, j’ai peur des conséquences si je résiste, des représailles si je me défends. Je déteste mon collège.

 Le trottoir est étroit. Pourtant, je vois quelques mètres en face de moi un groupe de jeunes. Probablement du collège. Je baisse déjà la tête je sais que mon physique et mon style vestimentaire suscite toujours de la haine ou des moqueries. Qu’est-ce qu’il va se passer ? Je n’ai pas d’autres choix que de passer au milieu d’eux, de toutes façons même si je changeais de trottoir le temps de les contourner, rien ne les empêcherait de m’insulter de loin et pire, je ne veux pas les inciter à se déplacer, à me suivre ou à marcher avec moi pour m’insulter.
J’y arrive. Je ne les entends pas, j’ai toujours mes écouteurs. Mais je sens quatre mains me caresser les fesses et d’autres endroits dont je ne me souviens pas. Je les entends simplement faire des « hmmm ». Ouf, ca n’a duré que le temps que je passe.

Je devrais leur crier dessus virer leurs sales mains, quel âge ils ont ces connards ? Mon âge si ce n’est plus jeune ! Pour qui ils se prennent ? Je devrais en pousser au milieu de la route et casser la tête des autres. Je suis triste. Ca n’a duré que le temps que je passe, mais quand j’y pense j’ai encore la sensation de leurs mains qui passent, lentes, douces… Ces inconnus qui me détestent aveuglément et que je haïs encore plus… Cette douceur est pire que la violence.
J’ai honte. J’aurais dû, j’aurais dû, j’aurais dû. J’espère qu’ils n’étaient finalement pas du collège et qu’ils m’ont oubliée.

Personne ne le saura jamais.

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